Ce qui me préoccupe ce n’est pas l’Algérie, c’est le sort du projet démocratique en Algérie. L’Algérie peut connaître une stabilité sous le 5ème round de Bouteflika, une stabilité achetée à coup de prébendes ou imposée par le pléthorique appareil de répression. Elle peut aussi connaître une longue somnolence sous le joug des islamistes que le Régent, une fois ses règlements de comptes achevés, peut tout à fait introniser au pouvoir (il n’y qu’à voir la cooptation actuelle du msp-mokri comme interlocuteur privilégié). Ce n’est donc pas ces “stabilités” là que j’espère, d’ailleurs y aurait-il stabilité dans l’avenir proche ?
Ce qui me préoccupe c’est le sort de ce patrimoine de luttes, de combats et d’espérances qui témoigne de l’abnégation et des sacrifices de générations de militants.
Ceux d’avant l’indépendance, militants de l’ENA, pour qui l’intuition était de s’inscrire de cet espace naturel qu’est l’Afrique du Nord. Ces ouvriers, mineurs, marchands ambulants, hôteliers qui ont découvert l’universalité de leur humanité dans l’apprentissage de la lutte sociale, syndicale et nationale. Ils étaient la matrice sur laquelle est venue se grefferla première génération de nationalistes qui n’ont pas connu l’immigration. Lycéens, ouvriers dans les manufactures ou les domaines agricoles, saisonniers ou colporteurs, seront l’ossature de l’ultime soulèvement national face à la colonisation. Dans le feu du combat, c’est toute une jeunesse qui s’est engouffrée dans une épopée qui n’a pas été qu’embuscades et coups de forces, accrochages et attentats. Dans cette épopée il y a eu l’apprentissage de l’être collectif, l’accès massif à la conscience pour soi. Les maquis et les prisons étaient aussi des écoles d’alphabétisation, de professionnalisation et de politisation.
Malgré “l’indépendance confisquée” la flamme ardente de l’espoir d’un avenir humaniste a continué à faire battre bien des cœurs, ceux des opposants aux despotes et aux putschistes, des étudiants qui se percevaient auxiliaires du progrès, ceux d’Algériens découvrant la profondeur multimillénaire de leur culture, de volontaires qui se sont dressés devant l’islamisme en arme, de militants qui malgré les aléas, dans une diversité chaotique et des approches souvent superficielles, continuent à porter cette idée d’une Algérie Républicaine, Démocratique et Sociale.
C’est le sort de ce combat qui me préoccupe. C’est le devoir d’aider à lever la prochaine vague qui me guide et m’habite. Aujourd’hui ce projet est minorisé et la Régence rêve de la néantiser et de lui fermer toute perspective historique. C’est pour cela que la première tâche aujourd’hui est de refuser les amalgames avec ceux qui ne se réclament pas de ce patrimoine, ceux qui ne le connaissent pas. Ceux-là, s’ils ne nous voient pas comme des ennemis, nous perçoivent, au mieux, comme des supplétifs tout juste bons à faire l’appoint des forces.
Aujourd’hui nous sommes profondément divisés et nous le resterons tant que nous ne sortons pas de ces “identités” surfaites qui nous segmentent. Tant que nous ne nous positionnons pas à partir de cette identité fondamentale qui est la nôtre depuis les années 1920 : celle de modernistes. Cette identité qui recouvre tous nos engagements républicains, démocratiques, sociaux, laïques et humanistes.
Nota : Au moment où j’écrivais cette note est tombée la dépêche APS annonçant le projet Bouteflikien de conférence “inclusive”. Je vois dans cette perspectives la confirmation des dangers que j’entrevois pour le projet démocratique.
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